Tuesday, March 29, 2011

Le journalisme à l’haïtienne

PORT-AU-PRINCE, Haïti - Le téléphone sonne, au bout de la ligne un journaliste informe un collègue qu’un membre du gouvernement fera une conférence de presse dans quelques heures. Le sujet de la conférence semble important, pourtant, il sera impossible pour les deux journalistes de se déplacer.   


Montage de « Goudou-Goudou, les voix ignorées de la reconstruction »
au Centre opérationnel des médias 

Les moyens de transport public désuets et le manque de ressources financières compliquent le travail de la communauté des médias. «Les journalistes travaillent dans des conditions difficiles. Le manque de véhicules et les problèmes de circulation compliquent le travail. Parfois, il faut se rendre au point de rendez-vous en ’’tap-tap’’ ou en taxi moto. Très souvent, les journalistes n’arrivent tout simplement pas à circuler», a expliqué Claude Gilles, directeur général du Centre opérationnel des médias.
Avant même le séisme du 12 janvier 2010, la communauté des médias devait faire preuve de débrouillardise pour réussir à informer la population: coupures d’électricité répétitives, connexion internet intermittente, ordinateurs obsolètes, en somme, une multitude de conditions défavorables.
La réponse des organes de presse internationale à la suite du tremblement de terre a été rapide. Le but : offrir aux journalistes les outils nécessaires pour continuer à informer la population.
Sous l’égide de Reporters sans frontières, le Centre opérationnel des médias a vu le jour. Un lieu où les journalistes peuvent travailler en toute sécurité avec des équipements appropriés. «C’est une première pour Reporters sans frontières d’administrer un Centre des médias», a confié Claude Gilles, journaliste pour le Nouvelliste.
Après le séisme, Reporters sans frontières a mis en place des réunions hebdomadaires avec les responsables en communications des organisations internationales oeuvrant en Haïti.
L’objectif: offrir aux journalistes haïtiens la possibilité de poser des questions directement aux porte-parole, une façon de remédier aux problèmes du manque d’information qui prévalaient dans le pays. «Ces réunions ont pris fin en février 2011. C’était une bonne façon de conscientiser la communauté internationale à l’importance du rôle des journalistes en Haïti, une tradition qui tend à rester», a soutenu Claude Gilles.
Le Centre opérationnel des médias a également fait en sorte de favoriser une nouvelle génération de journalistes. Des gens ayant maintenant accès au monde par l’entremise d’une connexion internet favorable pour la recherche et à la communication entre collègues. «Le concept de journaliste humanitaire a vu le jour après le séisme. C’est une nouvelle génération plus apte à gérer les catastrophes qu’avant», a résumé le directeur général.
En moyenne, entre 17 et 20 journalistes se partagent par jour les 14 postes informatiques. Ce sont principalement des représentants des médias d’Haïti, mais également des agences de presse écrite et des photoreporters qui utilisent les équipements. Le centre permet également le partage d’informations entre collègues. «Le centre a permis de créer une communauté de journalistes», a indiqué Claude Gilles.
Quels sont des défis de la presse en Haïti? «Il y a une grande quantité de médias, mais en terme de qualité, il y a une régression. Haïti possède un haut taux d’analphabètes et malheureusement tout ce qui est dit à la radio est considéré comme vrai», a déploré M. Gilles.

Caroline D’Astous
Agence QMI 

RSF, OIF et UNESCO guident les journalistes

« Guide pratique du journaliste en période électorale ». C'est le titre d'un important outil destiné aux journalistes professionnels des pays francophones. En Haïti, ce document a été présenté et distribué à la presse ce vendredi lors d'une cérémonie officielle au Centre opérationnel des médias. L'initiative est de Reporters sans frontières (RSF) et de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), avec le support de l'UNESCO.

 De gauche à droite: Chantale Moreno et Antonio Cabral de l'OIF, Claude Gilles (directeur du Centre opérationnel des médias de Rsf) et Mehdi Benchelah, responsable de communication de l'Unesco Haïti
Des représentants de Reporters sans frontières et de l'Organisation internationale de la Francophonie ont remis vendredi aux médias haïtiens un « Guide pratique du journaliste en période électorale ». Ce document, qui tient compte des contextes culturels, politiques et sociaux des pays francophones, est une « boîte à outils » qui permettra aux journalistes assurant la couverture électorale de renforcer leurs capacités de travail, a expliqué Antonio Cabral de l'OIF, à l'issue d'une conférence de presse.

Pas moins de 200 exemplaires ont été distribués aux journalistes haïtiens, a précisé M. Cabral, annonçant la remise prochaine d'un nouveau stock. « Ce guide a été offert particulièrement aux journalistes et aux associations de journalistes ayant participé aux formations sur la couverture électorale », a ajouté, de son côté, le représentant de l'UNESCO, Mehdi Benchelah, spécialiste en communication.

La cérémonie de présentation et de distribution de ce document a eu lieu à Bourdon au local du Centre opérationnel des médias, mis en place par RSF neuf (9) jours après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui avait saccagé plusieurs organes de presse du pays. Aujourd'hui, une fréquentation totale de plus de 4.500 utilisateurs est enregistrée à ce centre dont le journaliste Claude Gilles est le directeur exécutif. Ce dernier a, par ailleurs, annoncé que Canal France International assurera à la fin de ce mois une session de formation à l'intention d'une dizaine de journalistes de télévision.

Ce guide a déjà été distribué à des journalistes du Niger, du Tchad et de la République centrafricaine, selon l'OIF. « Des centaines d'exemplaires seront remis aux journalistes devant couvrir des élections en 2011, notamment au Bénin, au Cameroun, en Guinée, à Madagascar et en République démocratique du Congo », a annoncé cette organisation.

RSF, OIF et UNESCO attendant que cet outil favorise une « vie politique apaisée et une gouvernance démocratique renforcée, conformément aux engagements pris par les États
et gouvernements membres de l'OIF dans la Déclaration de Bamako (2000) ».

Contenu du « Guide pratique du journaliste en période électorale »
Constitué de trois chapitres (« Les règles applicables aux journalistes », « les spécificités du processus électoral » et « la couverture de la campagne électorale »), le « Guide pratique du journaliste en période électorale » est un document de 69 pages qui propose des réponses concrètes sur tous les aspects de la couverture médiatique d'une élection. Les professionnels de médias sont encouragés à en faire bon usage lors des élections, période qualifiée de « sensible et majeure de la vie démocratique». Ce document contient un ensemble de «repères déontologiques et techniques». La version électronique est disponible sur le www.rsf.org/guide-journaliste-periode-electorale/


Victor Jean Junior
Journaliste du quotidien Le Nouvelliste

Haïti : la maison des journalistes…

« Centre de presse», dit la rutilante bannière placardée sur la façade principale d’un bâtiment aux couleurs vives, l’un des rares à avoir résisté au séisme du 12 janvier 2010. La splendeur de cette maison, construite aux normes parasismiques, contraste avec le décor apocalyptique de Port-au-Prince, la capitale haïtienne qui ploie encore sous les décombres et les gravats…

Perché au flanc d’une colline dans le quartier de Bourdon, cette rédaction hors-médias a été mise en place par Reporters Sans Frontières avec le soutien de Québecor, la Fondation de France, le Centre francophonie des Amériques et le ministère haïtien de la Culture et de la Communication. Depuis un an, ce dispositif participe activement à la reconstruction de la presse professionnelle et indépendante en Haïti. Une expérience unique dans des circonstances exceptionnelles.

Alors que Port-au-Prince regorgeait encore de cadavres en putréfaction,  François Bugingo, Clothilde Le Coz, responsables de Reporters Sans Frontières au Canada et aux Etats-Unis et deux techniciens de Quebecor étaient à la recherche d’un local pour monter le Centre opérationnel des médias. Avec eux, un lot de matériel n’attendait qu’à servir. La difficulté était qu’avec 75% des infrastructures détruites à Port-au-Prince, la crise du logement s’est renforcée… dans cette capitale qui  résistait à peine face à une mauvaise politique foncière, et ce, bien avant le 12  janvier. Dans ces conditions extrêmement difficiles, le Centre de presse a tout de même pu être monté en 9 jours.

Malgré un délai limité, le centre de presse s’est érigé de la plus belle manière. Une vingtaine de professionnels de médias se retrouvent tous les jours pour y faire leur copie, entrer en contact avec la presse internationale, suivre les différentes animations hébergées par le centre. Il est ouvert aux professionnels locaux, mais aussi aux étrangers qui peuvent s’en servir comme lieu d’interface avec les ONG et les dirigeants haïtiens. «Le Centre opérationnel des médias est coupé des bruits. Mais pas de l’Internet ! Une richesse ici, d’autant que la connexion à haut débit est gratuite, avec en complément une imprimante, un banc de montage audiovisuel, une salle de formation et de réunion, deux lignes téléphoniques internationales et une cafétéria», résume Eric Chaverou de la radio France Culture, consacrant récemment vingt-quatre heures d’antennes à Haïti.

La reconstruction des médias devrait accompagner celle du pays, telle est la volonté de Reporters Sans frontières. Dans le cas haïtien, la première précède largement la seconde. Ainsi, le Centre des médias s’est installé dans le quartier Bourdon de Port-au-Prince. Cette “rédaction hors média”, dont la gestion m’a été confiée, dispose d’une quinzaine de postes de travail et d’une salle de formations et de réunions. Près d’un an après le Centre est devenu un lieu de convergence entre presse haïtienne, médias internationaux et ONG. Dès son inauguration, il a été utilisé pour échanger les informations primordiales concernant l’urgence de la reconstruction haïtienne. Plusieurs acteurs clés se sont retrouvés ici, pour parler, discuter, et planifier les interventions dans le pays. Les réunions hebdomadaires du CDAC (Communicating with Disaster Affected Communities) représentent le meilleur exemple  car cette fois, c’est les communautés locales qui sont les destinataires de la communication : représentants d’ONG internationales et haïtiennes, autorités gouvernementales et locales…
« Journalisme humanitaire »
C’est ainsi que tous les représentants des communautés se rencontrent pour coordonner leurs efforts d’information de la population. Un objectif tout aussi important que de connaître les besoins et les urgences : quand la population est informée correctement, les actions d’aide et d’assistance sont beaucoup plus efficaces.

Plus récemment, l’épidémie de choléra a forcément changé la nature des réunions du CDAC : de coordination de la communication vers l’émergence d’un état d’urgence. C’est une information à double, voir triple vitesse. Le choléra a replongé Haïti dans une situation similaire aux premières semaines post-séisme : il n’y a plus le temps pour la planification, il faut agir par petites actions  rapides, desquelles peut dépendre la survie des sinistrés, en détresse aux quatre coins du pays.

«Je vis dans un camp, comme les autres déplacés, c’est pour ça que j’ai décidé de devenir un journaliste humanitaire», dit Rosemond Loramus. C’est une nouvelle profession en Haïti après le 12 janvier. Elle a permis à beaucoup de journalistes, qui avaient perdu leur travail, de se rendre utiles auprès de la population. Un journaliste humanitaire écrit et distribue de l’information utile aux gens dans les camps. Rosemond représente leurs voix. Dans les camps, les gens se savent écoutés et compris. Cet engagement a été possible grâce aux programmes de formation réalisés dans le Centre par Internews : une semaine en salle, autour d’une table, puis des séances sur le terrain à appliquer les nouvelles connaissances. «Dans le camp où j’habite, il y avait un problème d’invasion de cricket, complètement ignoré par le comité et les autorités. J’ai donc fait mon investigation, j’ai réalisé un sujet pour qu’enfin on parle de ce problème» continue Loramus, «j’ai aussi raconté le calvaire des handicapés qui vivent dans une zone éloignée du camp : lors de la distribution d’aide et nourriture, ils étaient complètement oubliés…»
Solidarité et coopération entre confrères…
Le Centre de Presse est équipé d’un banc de montage dernière génération, offert généreusement par Canal France International. Une équipe franco-italienne est venue l’utiliser pour préparer un web documentaire. «Goudou-Goudou, les voix ignorées de la reconstruction» sera diffusé le 12 janvier prochain. «Le Centre de Presse nous a permis de travailler en direct de Port-au-Prince, un gagne-temps considérable pour nous. Le principal atout est de nous avoir permis de côtoyer et d’échanger avec de nombreux journalistes locaux, tel que Rosemond, Wendy, Dimitri et bien sûr avec Claude» raconte Benoit Cassegrain, le réalisateur du projet. «Nous étions venus écrire notre film en août et en septembre dernier. La vérité, c’est que le Centre a joué un grand rôle dans notre projet. C’est le premier endroit en Haïti que nous avons visité, grâce aux recommandations de l’un de nos partenaires, Reporters Sans Frontière. Nous y avons passé beaucoup de temps, avons appris beaucoup de choses, et aujourd’hui, nous le considérons un peu comme notre quartier général». Si nous le considérons ainsi, c’est avant tout parce que le Centre de Presse nous a aidé à définir notre écriture : suivre 5 journalistes haïtiens pour comprendre la situation actuelle du pays», ajoute Cassegrain.

Cette expérience est riche d’enseignements, à la fois pour les journalistes haïtiens mais  aussi pour les confrères étrangers. Des collaborations naissent, des transferts de connaissances se réalisent et des amitiés se lient. Pour le confirmer, l’équipe du web documentaire nous a soumis un projet de  formation prévu pour le printemps 2011 dans le Centre. «C’est bien normal» ajoute Charles, le bloggeur-preneur de son du crew. «Les personnes du Centre nous ont tellement apporté que nous souhaitons, à notre tour, partager ce que nous connaissons. Cet espace est équipé d’internet et nombreux sont les journalistes qui nous ont sollicités pour des conseils et de l’aide. Nous avons ressenti en eux une grande motivation, c’est pourquoi nous avons décidé d’organiser une formation multimédia et plus spécifiquement, la réalisation de portfolio sonore».

Un an après le séisme, la presse haïtienne a retrouvé une étonnante vitalité. Le Centre de Presse, lui, n’a pas perdu de son utilité – loin s’en faut, dans un pays si souvent frappé par le malheur. Et grâce à l’investissement de bailleurs comme la Fondation de France, l’avenir du Centre est assuré, du moins pour une année encore. D’ores et déjà nous rêvons de la création d’une vraie Maison de la presse. Et d’être l’«épicentre» d’un journalisme à vocation humanitaire…

Claude Gilles
Correspondant de Reporters Sans Frontières (RSF) à Haïti
Directeur du Centre opérationnel des médias